Lien vers le huitième épisode
6 juillet
Quand larbitre italien M. Sassetti siffle le coup denvoi du quart de finale opposant le Brésil à lEspagne au Rogers Centre de Toronto, il y a bien longtemps que le match a débuté, mais dans la presse. Guerre de déclarations, de sous-entendus, daccusations mutuelles. Les Brésiliens sont favorisés par larbitrage, selon les uns. Les clubs espagnols tentent de faire tourner la tête des joueurs Auriverdes en leur proposant, en plein Mondial, des offres mirobolantes « afin de les déconcentrer », selon les autres. Baltemar Gottardi sest étonné de voir des émissaires de lAtlético Madrid pénétrer la résidence de la Seleção (ce que le club colchonero dément) à deux jours du match et les Espagnols, en réponse, se sont demandés pourquoi leurs adversaires avaient pu rester dans leur stade du premier tour et bénéficier dun jour de récupération en plus. De plus, la désignation de M. Sassetti, invité habituel de la confédération brésilienne, a causé des haussements de sourcils. « La présence de João Havelange à la tête de la FIFA ne doit pas y être étrangère », insinuent les Espagnols.
Bref, les esprits et les muscles sont chauds à lheure du coup denvoi. Pourtant, les principaux concernés - les joueurs - sont restés dune admirable discrétion et maintiennent les débats dans les limites du correct. Il faut dire que le jeu, rapide et électrique, exige une concentration extrême. La rencontre est intense : le Brésil confisque le ballon et lEspagne réplique par des contres coupants. Moacyr, le portier brésilien, plonge dans les pieds de linsaisissable Quique Romero et soupire daise quand un tir dAdurní Alonzo, seul aux quinze mètres, senvole dans les tribunes.
Le Brésil se gorge de domination stérile malgré une attaque à trois (Edivaldo-Elefante-Josué) car, derrière, personne ne donne linspiration, les milieux étant trop concentrés sur leur tâches défensives. « Je métonne de la volonté de la part des responsables brésiliens de vouloir européaniser à outrance leur jeu », constate Albert Batteux. « Sil y a bien une chose sur laquelle le Brésil doit sappuyer, cest lincroyable virtuosité de ses joueurs, faite dune éducation sportive spontanée impossible à reproduire nulle part ailleurs. Etouffer ces qualités intrinsèques pour en développer dautres (rigueur, efficacité) quils ne possèdent pas au berceau est faire fausse route. »
Difficile de contredire lancien sélectionneur français, désormais chroniqueur radio. Le Brésil, affûté physiquement, règne dans la récupération et la possession du ballon mais où sont les artistes ? Où est le brin de folie ? Son bilan aride du premier tour (sept buts marqués, deux encaissés) ne lui ressemble pas. Cette première demi-heure de jeu, faite déchanges de passes dans lentrejeu, de centres en profondeur et de tirs de loin, non plus.
La pause atteinte sur un score vierge renforce les espoirs espagnols. Ils sentent si bien le monument vaciller que Moncho Díaz, dans les vestiaires, doit les rappeler à la prudence. « Vous naffrontez pas une équipe de quartier, poursuivez sur le même rythme mais, surtout, restez groupés. » Ce discours de moniteur de colo passe peut-être trop bien ... car lEspagne se retranche progressivement et range son audace, ne laissant « que » Quique Romero en pointe. Le match sendort, pain bénit pour le Brésil qui peut enfin solliciter ses arrières latéraux et créer un surnombre. Rómulo, déjà buteur contre lURSS, manque de peu de conclure un somptueux mouvement collectif entre Josué, Teo Dias et Andrezinho.
A lheure de jeu, Gottardi se décide enfin à sortir un de ses trois attaquants (à trois dans un entonnoir, on a du mal à passer) et lance Alan Queimado, le fou-fou gaucher qui provoque des courts-circuits, parfois dans sa propre équipe. Panique dans les sous-bois espagnols où Nacho Pérez et Apolonio, les deux arrières centraux, se perdent dans leur placement (Individuelle ? Zone ?) et sortent le rouleau à pâtisserie. Coup-franc à la 65e minute, botté par Teo Dias à vingt-cinq mètres des buts, décalé à gauche. La balle est déviée, Edivaldo jaillit au second poteau et Santi Gorriz, le gardien espagnol, nest pas très brillant sur laction. But pour le Brésil (sur coup-franc, un de plus), qui nenchante pas mais fait preuve dun opportunisme étonnant. Son Graal obtenu, il se ferme comme un escargot.
Labsence de réaction des Espagnols, dont on se rend compte quils avaient atteint leur seuil de compétence lors du premier tour, déçoit et provoque dimmenses regrets en France. « Nous aurions eu notre mot à dire contre ce Brésil-là », sexclament les Tricolores. Bien sûr, mais cest contre les Espagnols quils fallait « dire ce mot » et ne pas attendre dêtre menés pour jouer. La question du réalisme et de linstinct compétiteur du footballeur français revient encore sur la table.
Les Brésiliens, eux, possèdent ces qualités désormais, au point que le titre leur semble promis. Les Belges, arrivés à Toronto la veille, ont assisté à la démonstration dans les tribunes. Ils considèrent leur adversaire comme on consulte un menu : « jusquici, le Brésil a basé sa réussite sur la conservation de la balle et un faux rythme, constate Wilfried Smet. Si nous inversons les données du jeu et lobligeons à hausser le tempo, que se passera-t-il ? »
7 juillet
RFA-URSS ou le duel entre deux cultures, deux idéologies, deux façons de voir le sport, deux colosses. Le dôme de Vancouver sattend à tout sauf à de la poésie. Déjà en 1966, demi-finale du mondial anglais, la rencontre entre aigle et ours avait tourné au pugilat. Depuis, lURSS a mis un peu deau dans sa vodka grâce à la présence massive des fantaisistes Ukrainiens. La RFA, en revanche, a tourné le dos à lesthétisme en troquant (contrainte et forcée) son inspirateur Rammer pour le gladiateur Volckers.
Le Chilien M. Coronado a été nommé pour arbitrer cette rencontre qui inquiète et fascine. Il a lexpérience, la stature et un visage rébarbatif qui fait peur aux enfants. Quand, après trois minutes, Knoben sèche Zaferyan dun tacle aux trois-quarts arrière (très dangereux), M. Coronado nhésite pas et expulse le latéral droit ouest-allemand. Dans lesprit, rien à dire, mais ce genre de déviation étant communément acceptée, la décision si tôt venue étonne. « M. Coronado na pas fait derreur de jugement mais seulement de diplomatie, commentera Albert-Michel Henry. Avait-il fait part aux joueurs de ses critères avant le coup denvoi ? »
Face à limprévu, la RFA se réorganise. Puisquil va lui falloir lutter une heure trente à dix contre onze, elle sarme de patience et de colère froide. Stihl, le milieu de terrain duisbourgeois, retrouve le poste de défenseur droit quil occupait plus jeune, Volckers bosse pour quatre au milieu de terrain et les ailiers (Pfinnitz, Göllwitz) se replient. Les Soviétiques, loccasion faisant le larron, devraient se porter à lattaque, assommer un adversaire déboussolé. Au dépit de tous, ils se contentent daller à leur rythme, ne sortant pas dun schéma prédéfini, par crainte et par excès de discipline. On ne va pas à lencontre de vingt-cinq ans déducation sportive, surtout avec Solopeikin sur le banc, génial tacticien, certes, mais qui lincite ses joueurs à la débauche offensive que dans lurgence.
Ainsi, on peut voir Kulak et Pyanov, les deux Kiévotes, zébrer le terrain de courses croisées infructueuses, le ballon restant collé dans les pieds du quatuor de milieu de terrain Zaferyan-Nastichev-Podvintsev-Bakhachkov (un Bélarusse, dun Russe, dun Ukrainien, un Tatar).
Devant une telle inertie, les Ouest-Allemands se réinstallent paisiblement et, en vingt minutes, ont dressé la herse devant Wüthrich ! Ce match, que lon attendait intense, est terriblement décevant, un peu à limage du Mondial qui, selon France Football, « surgit comme un appendice démesuré au terme dune longue saison qui a épuisé les forces physiques et morales des professionnels européens et sud-américains. La plus belle compétition de la planète ne devrait-elle pas être disputée par des athlètes au mieux de leur forme et, pour cela, faire lobjet dun programme spécifique de préparation, comme les Jeux Olympiques ? La FIFA néchappera pas à une remise en question après ces quarts de finale pingres (six buts en quatre matches) dont trois ont délivré le même scénario : un but et fermeture de la boutique. »
« Ce nest pas un hasard si léquipe la plus enthousiasmante de ce premier tour fut le Maroc, dont les joueurs ont bénéficié dune plage de repos et dune mise en condition progressive favorisée par larrêt anticipé du championnat. Mais, au Maroc, la fédération peut sans mal imposer ses doléances à des clubs le plus souvent amateurs et qui dépendent entièrement delle... Ce nest pas un hasard non plus si ce même Maroc a tout de même été éliminé au premier tour dune compétition réservée aux réalistes. Pas un hasard si le grand homme de lépreuve est pour linstant Dennis Volckers, un joueur de grande qualité mais dont le style abrasif et porté sur lefficacité ne fait pas vraiment rêver les stades. En tout cas, les néophytes Nord-Américains, friands de sports virils, ont eu avec cette Coupe du monde leur content de contacts. Les amateurs européens ont dû, en revanche, ranger leurs illusions. »
Léditorialiste de lhebdomadaire dressera ce constat désabusé au lendemain de ce RFA-URSS, dont les trois faits saillants seront, en fin de compte, les expulsions de Knoben, du défenseur soviétique Kasapov (pour une agression, elle aussi délibérée, sur Lippmann) et ... le but Ouest-Allemand, marqué à la 44e par lailier Göllwitz sur lun des six tirs cadrés du match, une reprise du gauche consécutive à une remise de la tête de Lippmann.
Lavantage obtenu, la RFA posera son ciment sur la pelouse avec Volckers à la truelle et une défense en béton armé. Les joueurs Soviétiques se reprocheront (un peu tard) leur manque daudace et dopportunisme. Leurs dirigeants, plus pragmatiques, licencieront Solopeikin (envoyé dans le Nord de la Finlande pour une mission « diplomatique à caractère sportif » auprès de la fédération locale) et nommeront à la tête de la Sbornaïa Anatoli Tironchev, lhomme qui a fait le Dynamo Kiev. Heureuse idée dont ils cueilleront les fruits quelques années plus tard.
En attendant, la RFA est toujours là. LArgentine se dresse face à elle mais ses jambes flagellent.
A suivre