Lien vers le cinquième épisode
28 juin
Les Ouest-Allemands, malgré un bilan parfait (deux victoires en deux matches, cinq buts marqués contre un seul encaissé), ne grimpent pas aux arbres. Humilité en bandoulière, ils affirment que « le plus dur est à venir » et admettent quhormis la Chine, « tous les adversaires de ce Mondial sont compliqués », ce en quoi ils ont raison. Ainsi, ils abordent le Nigeria avec prudence et circonspection, même si les « Green Eagles » quasiment éliminés. Pourquoi cette humilité toute nouvelle alors que la National Mannschaft est championne dEurope ? Probablement labsence de ses deux meilleurs joueurs, le gardien recordman des sélections Bernd Hausknecht (tendons sectionnés par ... une vitre brisée) et leur meneur de jeu Hans-Karl Rammer, qui sest mis en retraite de la sélection à seulement 30 ans, officiellement « pour consacrer plus de temps aux siens », officieusement pour divergences de vue avec les huiles de la DFB. Or le n°10 de Mönchengladbach était depuis dix ans lhomme de base, linspirateur de léquipe de RFA. Sa vision du jeu, sa force de frappe et sa puissance physique lui permettaient de récupérer, distribuer les ballons et marquer les buts décisifs. Bref, de donner le tempo. Rammer parti, la RFA a dû tourner une page sans savoir vraiment quoi écrire sur la suivante. Certes, Lippmann marque toujours et Volckers, qui a pris la place de labsent au milieu de terrain (avec le brassard en prime) est un monstre en son genre mais ne possède pas lâme romantique du beau Hans-Karl. Léquipe dAllemagne sest changée en char dassaut, écrasant tout sur son passage mais pas très agile dans les virages. Cela peut suffire pour passer le premier tour, voire les quarts mais ensuite ?
Les Nigérians, nous lavons vu, nont pas ces problèmes. Contents dêtre là, ils défendent leur drapeau avec acharnement et déploient leur jeu puissant et physique sous le dôme du BC Place Stadium de Vancouver, premier stade couvert à recevoir des rencontres de Coupe du monde. Tant mieux car il pleut dehors. Défier les Allemands sur le terrain athlétique est assez téméraire et on sétonne de laveuglement tactique du sélectionneur nigérian, lAnglais Conway, qui dispose pourtant dexcellents techniciens (Adams, Somozeni). Résultat des courses, les Nigérians tiennent un quart dheure, une demi-heure puis se font piéger à la 33e sur un centre de Göllwitz mal dégagé et repris aux vingt mètres par Volckers, décidément précieux. En seconde période, le stoppeur Brückler reprendra de la tête un corner de Pfinnitz pour conclure la marque, Wüthrich se rassurant avec quelques parades sur les rares tirs nigérians. Deux à zéro, qualification ouest-allemande et optimisme français : « ils ne sont pas impressionnants et nauront plus rien à jouer contre nous ! » A voir.
Le Pologne-Suède prévu en soirée à Ottawa est dune importance capitale. Pour les deux équipes, qui doivent lemporter si elles veulent aborder leur dernier match de poule en position de force ... et pour lURSS, qui a tout intérêt à voir ses deux concurrents partager les points sil veut espérer passer. Les Nordiques sont favoris : ils manifestent une belle santé et marquent trois buts par match contre ... aucun pour la Pologne. Les Polonais, cependant, après deux intenses batailles face aux Brésiliens et aux Soviétiques, nont rien dune victime expiatoire. Leur collectif est brillant et leur enthousiasme réfute limage lisse et marmoréenne que lon se fait de lathlète de lest. Face aux gros chats suédois, ils livrent un duel épique (un de plus) et très mal entamé quand Kihlberg, oublié au deuxième poteau, trompe Nowoszyl après six minutes. Remontés comme des coucous, recadrés par leur entraîneur Zbigniew Zabrodski, les Polonais se rebiffent. Grzegorz Moskalewski profite dune mésentente entre Sandqvist et son défenseur Ohlgren pour égaliser dès la vingtième minute. Le match a nettement reflué et cest en toute logique que la Pologne prend lavantage sur penalty de Chmiel sanctionnant une faute sur lailier Tkacz.
Les Suédois nen sont plus à une course-poursuite près et haussent le rythme en seconde période. Les lourds défenseurs polonais tirent la langue, surtout le libero Jakubowski dont la caravane tracte 88 kilogrammes. Leif Bengtsson, le sélectionneur suédois, sort son avant-centre Stefansson, taillé dans un chêne, pour le vif et rapide Nystén. Pari gagné : à la 64e, le petit Nystén, remplaçant à lAjax, reprend du genou un centre dévié. « Tous les buts comptent, même les moches », samusera-t-il. Laffaire amusera moins les Polonais qui, malgré un dernier tir sur la barre, doivent concéder un point et lélimination.
« Cest le sport, regrettera Zabrodski. Mais le tirage au sort nous a été cruel : dans tous les autres groupes, nous serions passés ». Les Suédois nont cure des lamentations de lentraîneur déçu : ils ont les yeux vers le dernier match, décisif, contre le Brésil.
29 juin
Ce 29 juin est jour de jugement dernier dans le groupe A, où Uruguay, Yougoslavie et Maroc se disputent le deuxième ticket pour les quarts de finale (Angleterre qualifiée). En début de journée, pour le compte du groupe C, une surprise était venue de Regina, comblant daise la délégation française. LEspagne, en effet, avait pataugé contre la Colombie, pourtant réduite à dix pour les vingt dernières minutes, au point de concéder un match nul et vierge. Bilan espagnol : quatre tirs cadrés, aucun côté colombien mais un formidable cadeau pour les Tricolores qui, à lorée de leur rencontre face à la RFA, ont un point davance sur lEspagne (quatre contre trois). Un nul pourrait suffire au cas où lEspagne gagne par lécart minimum face au Nigeria. Lespoir fera vivre Ibères et Français dici au 2 juillet.
En attendant, lespoir est surtout marocain. Jusquen 1956 et lindépendance, les meilleurs éléments de ce pays de football méconnu étaient réquisitionnés par léquipe de France. Après une longue stagnation et le patient travail entrepris par le belge Victor Roetman, en poste depuis cinq ans, soutenu par une fédération bien structurée et des clubs puissants (Wydad Casablanca, Raja Casablanca, FAR Rabat, Ittihad Tanger, KAC Marrakech), le Maroc peut devenir le premier pays africain à passer un tour en Coupe du monde, après avoir été le premier à y remporter une victoire. Pour cela, les Lions de lAtlas doivent, au minimum, tenir en échec la Yougoslavie que lon soupçonne de ne pas avoir tout montré jusquici.
Mais quen est-il de lUruguay, troisième larron potentiel ? Et bien la Celeste sest éliminée toute seule en ne sachant pas sortir de son registre abrasif pour vaincre les courageux Canadiens.
Soutenus par un public fidèle jusquau bout (65000 spectateurs de moyenne à chacune de leurs sorties), les joueurs à lÉrable ont en effet défendu vaillamment (Leitch impérial, une fois de plus) pendant une heure dix face aux Uruguayens et profité du découragement de leurs vis-à-vis pour marquer deux buts bien troussés. Gary Chiasson de volée sur une remise en touche « atomique » du latéral droit Tim Wallace et Curtis Blackburn, un étudiant de 18 ans, sur un centre en retrait repris du talon. La sélection uruguayenne sera accueillie chez elle par des jets de pièces de monnaie, humiliation suprême en Amérique du Sud. Le Canada finit dernier de son groupe mais couvert de fleurs.
Ne restent donc que Yougoslaves et Marocains. Les coeurs de noctambules français (il est 3 heures du matin à Paris) ne savent sils doivent pencher vers les premiers, dont de nombreux artistes ont brillé en championnat de France, ou les seconds, vent de fraîcheur et dallégresse sur la compétition.
Les destin non plus ne sait pas se décider. La rencontre ressemble à du poker-menteur : les Marocains déroulent leur jeu au sol, basé sur leur trio médian composé de Kaïssi (classe, clairvoyance), Malebi (récupération, hargne) et El Hijaoui (vitesse, percussion) mais semblent retenus par un fil invisible nommé peur de gagner. En face, les Balkaniques, qui nont jamais brillé par leur solidité mentale, semberlificotent dans des manoeuvres individuelles sans lendemain. La paire attaquante Simeunovic-Zilic attend des ballons qui restent collés aux pieds des milieux de terrain, notamment de Karic, exaspérant dindividualisme. Tout cela ne fait pas une soupe très digeste et Ivica Kocija, le sélectionneur yougoslave, sen rend compte. A la pause, il sort Karic (furieux) et Vicepar, ce dernier nayant pas fait oublier labsence de Brnovic, toujours suspendu. Entrent à leur place deux petits modules, Sead Maric et Zdenko Djelenka, le premier pour occuper le côté gauche (comme à Nice) et le second pour tirer les ficelles du jeu ainsi quil le fait depuis deux saisons sous le maillot de Rijeka.
Kocija a eu le nez fin : les Yougoslaves jouent enfin à leur niveau, gagnent progressivement du terrain et privent les Nord-Africains de ce ballon quils aiment tant. Contraints de jouer contre nature, les Marocains plient et rompent vite, trop vite, à la 57e quand Simeunovic dévie opportunément une frappe de Capljic. Six minutes plus tard, après une alerte sur les buts de Jankovic (coup-franc de Kaïssi), Djelenka se charge lui-même denfoncer le dernier clou du cercueil. A vingt-cinq mètres du but légèrement décalé à gauche, il expédie, sans élan, un ballon délicatement enroulé dans la lucarne opposée. Deux nouveaux buts yougoslaves (Zilic sur penalty, Pecovski) donnent au résultat une allure de déroute cruelle pour les Marocains mais impressionnante dans le forme. « Ce Mondial a perdu son équipe la plus enthousiaste mais, dans la foulée, récupéré un candidat au titre de premier calibre », constate « LÉquipe ».
Verdict du groupe A : 1) Angleterre 6pts (6-2) ; 2) Yougoslavie 5pts (7-2) ; 3) Maroc 4pts (6-7) ; 4) Uruguay 3pts (2-5) ; 5) Canada 2pts (2-7)
30 juin
Cétait prévisible, deux qualifiés dans un groupe de cinq aboutiraient à une poignée de rencontres sans enjeu, ni jeu, ni spectateurs. Cest le cas du Portugal-Chine de Winnipeg. Sous une pluie daprès-midi, seuls 18000 personnes (supporters portugais pour la plupart) emplissent les tribunes du Canad Inns Stadium et assistent à une victoire sans émotion ni passion des Portugais (2-0, Tomé et Pedro Tavares) sur ce fantôme déquipe de football quest la Chine, présentée comme un « assemblage incolore de joueurs récitant constamment la même leçon » par un journaliste portugais. Celui-ci sera tout aussi sévère avec sa propre sélection en la qualifiant de « bande dépiciers en vacances ». Cest un peu injuste pour la Selecção qui rentre au pays avec un bilan équilibré (quatre points en quatre matches) sans jamais avoir été ridicule. Elle aura péché par le manque de profondeur de son effectif et « son incapacité à changer de rythme », selon son capitaine Valentim Gomes.
LArgentine qualifiée dans ce groupe D, il ne reste aux Italiens quà ne pas perdre contre la Belgique, mission dont ses joueurs sont passés maîtres au sein de leurs clubs respectifs, en coupes européennes ou dans leur championnat, le plus fermé du monde. Wilfried Smet ne saffole pas devant lampleur de lévénement (« si nous sommes éliminés, nous ferons un bon repas et partirons tous en vacances ») et lance une attaque à deux têtes (De Baecker le « taureau brugeois » et Neyrinckx) soutenue par un milieu de terrain très offensif (Lauwe-Courant-Temmerman-Galens) et une défense en ligne agressive. Il met également son gardien Pecqueur, très entamé par ses erreurs contre lArgentine, sur le banc, demande à ses joueurs doublier la fatigue accumulée (match il y a soixante-douze heures plus déplacement depuis Winnipeg jusquEdmonton) et touche du bois avant de sinstaller sur son banc « car je suis superstitieux », précise-t-il.
Les Italiens-Machiavel comptent bien sur cette fatigue belge pour arriver à leurs fins. Installés autour de leur invincible Donadel dans les cages, de leur libero et capitaine Marinello et dune défense où le stoppeur Cortese impressionne par son autorité au fil des matches, ils prennent le vent et attendent. Parfois, leurs avants (Floriani, Forlì) soffrent des billets de sortie et viennent chatouiller le but adverse, de plus en plus près à mesure que le temps passe. Donadel et ses paluches géantes na pas grand-chose à faire, en revanche. Du coup, le public bâille et on le plaint. Les Diables rouges, émoussés, se retrouvent dans la peau des Argentins une semaine auparavant et débitent un long monologue dimpuissance.
Soudain, Temmerman-longues jambes ébauche un bel alexandrin côté gauche, salue les varices de Del Torchio (36 ans) et délivre un centre que Marocchi, le maladroit, détourne dans ses buts. Un csc italien ! A vingt-cinq minutes du terme ! En Coupe du monde ! Les sept plaies dÉgypte ont frappé lItalie tandis que le commentateur de la télévision belge francophone entonne « La Brabançonne » derrière son micro.
Fulvio Giacomi, le sélectionneur italien, en a vu dautres à 68 ans tassés mais il est secoué au point dattendre dix minutes pour réagir. En désespoir, il lance Enzo Di Gennaro, le meilleur buteur du dernier Mondial, à la place ... dun milieu offensif. Même convalescent, l « azzo » de la Juve et de la Squadra pèse son poids sur le mental de ses équipiers et des défenseurs adverses. LItalie, dos au mur, se cabre face à linéluctable, attaque de tous côtés, ressemblant soudain à la RFA des meilleurs jours. Coups-francs à trente mètres et corners se succèdent sur les buts belges où Thyssen, remplaçant de Pecqueur (et numéro trois chez lui dans la hiérarchie des gardiens), fait preuve de solidité, main ferme sur un obus décoché par Patrizi. Il ne reste que cinq minutes, puis quatre, puis trois et lidée que le champion du monde va échouer là, à la porte des quarts, puni par sa propre prudence et des Belges trop ambitieux devient réalité quand larbitre israélien M. Shan siffle la fin de la rencontre.
« La Belgique na rien fait pour mériter sa place en quarts de finale, elle marque sur un coup de chance et se recroqueville », affirme Giacomi, qui avait habitué à plus de sportivité. « Les Italiens métonnent », répond Wilfried Smet. « Ils ne marquent que trois buts en quatre rencontres, nen gagnent que deux et se plaignent de la frilosité de leurs adversaires ? Je peux vous garantir que nous offrirons un très beau spectacle contre lAngleterre ». En effet, Angleterre-Belgique et Argentine-Yougoslavie sont les premiers quarts de finale connus.
Verdict du groupe D : 1) Argentine 6pts (10-3) ; 2) Belgique 5pts (7-4) ; 3) Italie 5pts (3-1) ; 4) Portugal 4pts (4-3) ; 5) Chine 0pt (0-13)
A suivre...