Premier match, premier stade, premières émotions
Personnellement, ce n'est pas le jeu en lui-même qui m'a "attrapé" puisque je n'y ai réellement joué que longtemps après avoir vu mon premier match "en chair et en os". Je me souviens très bien de la date, 1er avril 1989, puisqu'il s'agit du jour de naissance de mon petit frère. Lille-Toulouse, depuis la tribune de presse du stade Grimonprez-Jooris. 0-0, j'avais cinq ans et demi et Frédéric Thiriez n'était qu'avocat.
Non, m'emmener au stade était une sorte de suite logique pour mon père et mes frères puisque je me passionnais déjà pour la chose. Sans rentrer dans la psychanalyse (un peu quand même), je crois que j'ai dès le début vu dans le football un "théâtre aux mille visages", comme dit Jacques Thibert, aux règles simples (unité de temps, de lieu, d'action) mais aux personnages, scénarios et panoramas sans cesse changeants.
Avant même d'y goûter, j'ai admis que l'une des plus grandes joies sur terre était de placer un ballon dans un filet, vérité vérifiable sur la terre rouge du club de mon frère ou sur la gazon brillant du Parc.
Que cette joie était la même à Lille, autour de ce vieux stade Grimonprez-Jooris (pour moi, il est vieux, je n'ai connu que lui ...), lieu de villégiature du dimanche matin, et dans les autres villes de France et du Monde. Ces villes dont je découvrais les reflets derrière les joueurs qui posaient pour Panini et Onze Mondial.
Pour moi, Auxerre sera toujours la cathédrale du ??e siècle devant laquelle posent les hommes de Guy Roux dans Panini 87. Toulon et Montpellier baignés de soleil, comme dans leurs photos du Onze des Équipes 88, etc...
Très vite, le football est devenu ce bon copain multiforme, déclinable en parole (multiplexes radio), images (matches à la télé, événements rares à l'époque), lecture (presse, bouquins, merci papa journaliste), bande dessinée (Éric Castel, pour ceux qui connaissent) et source de divertissement avec mes crétins de frères (dans le jardin, chez nous, au grand plaisir des voisins).
Quand j'arrive à Grimonprez-Jooris ce 1er avril 1989, le foot est un terrain largement défriché. Pour autant, je n'ai jamais rien vu des lumières du stade.
Étant en tribune de presse avec mon père, je ne partage pas le tumulte des "premières" ou des "secondes". Si on peut parler de tumulte à l'époque, car il n'y avait guère plus de 8000 personnes, ce qui représentait le monde pour un gosse comme moi.
Tribune de presse, position parfaite: je suis aussi spectateur des tribunes que du terrain. Moi qui ne suis jamais encore allé au cinéma, je regarde le grand écran vert, absorbe le flux sonore venant des supporters et essaie de suivre le ballet, étape par étape. Je ne veux pas perdre une miette du "match de foot", ce cérémonial qui, pendant longtemps, a constitué à mes yeux ce qu'il y avait de plus important dans une vie d'homme.
Je me souviendrai toute ma vie du noeud qui se formait dans mon estomac pendant ces avant-matches ou, entre 20h et 20h30, on attendait l'entrée en scène des danseurs musclés et colorés (ah, le maillot jaune pétant du FC Nantes, le rouge et noir des Rennais, le bleu roi de Mulhouse face à l'immuable blancheur de la tunique lilloise). Pendant quatre-vingt-dix minutes (que j'attendais toute la semaine), ils allaient s'agiter selon des règles, des principes et des schémas auxquels je ne comprenais quasiment rien (la règle du hors-jeu n'a été claire pour moi que vers 14-15 ans). Peu importe, du moment qu'ils m'éblouissaient. Son, lumière et beauté.
Le temps avançant, j'ai rejoint mes frères en tribune debout et, avec l'adolescence, appris à être supporter; le match s'est banalisé. Il restait sacré mais plus pour le cérémonial qui l'entoure (week-end, tenue réglementaire, annonce des joueurs, chants, repas d'après-match) que pour sa beauté brute. En 1996, j'ai pour la première fois vu mes favoris diffusés à la télé. Le LOSC dans mon salon. Je n'allais plus à lui, il venait à moi.
J'ai grandi, je suis devenu bête, puis sérieux, trop sérieux. Le foot aussi, j'en ai peur.
Je ne suis plus allé dans un stade depuis février, je ne sais pas où sont passés mes albums Panini. La cathédrale Saint-Étienne d'Auxerre date du XVIe siècle. La dernière fois que j'ai senti des frissons avant un match de foot, c'était en mai 2007, mon dernier à la tête des -13 ans du FC Lambersart.
Je ne sais pas si je regrette plus mon enfance ou le foot de mon enfance. J'ai peur que ma footnostalgie soit du footpasséisme ...
Pendant ce temps, le LOSC joue en rouge et le FC Nantes est dernier de D1. Pardon, de L1.